Marché en Tunisie, 1899.
FATALITÉ ET PROGRÈS
[Etudes Traditionnelles n° 261, 1947.]
Fatalité et progrès : ces deux mots suggèrent à eux seuls toute la divergence qui sépare deux conceptions incompatibles de la civilisation, l'une normale et l'autre déviée, c'est-à-dire, l'une fondée sur la science métaphysique des possibilités et l'autre sur l'oublie de cette science. Ce qui constitue en effet l'essence même des civilisations d'origine antique, - et nous parlons des civilisations en tant que telles, c'est-à-dire envisagées sous le seul angle de leur existence humaine, sociale, historique, - c'est qu'elles sont ordonnées de façon à réaliser l'équilibre le plus parfait et partant un maximum de stabilité ; profondément "réalistes", elles se conforment aux possibilités de leur plan d'existence, en sacrifiant forcément l'exception à la loi générale et le secondaire à l'essentiel. La civilisation occidentale moderne par contre ne tient aucun compte de ce qui est possible et de ce qui ne l'est pas, et remplace les principes inéluctables par de simples aspirations ; peu importe d'ailleurs qu'elle se réclame d'un "idéalisme" ou d'un "réalisme", puisque le premier sera toujours au-dessus des possibilités humaines collectives et le second au-dessous des possibilités humaines tout court ; en un mot, ces aspirations vont à l'encontre du réel, et il ne saurait en être autrement, du moment qu'elles ne répondent, somme toute, qu'à des désirs tout individuels. Ce rejet des principes normaux est la conséquence inévitable du rejet de la tradition qui seule est à même de donner à un groupe humain le cadre conforme à ses possibilités ; ce cadre - garant indispensable d'équilibre et de stabilité - une fois brisé, toute aspiration individuelle et individualiste, quelque chimérique soit-elle, peut se donner libre cours et statuer "idéalement" sur la possibilité humaine, terrestre, cosmique.
Il n'est certes pas difficile de constater - dans les vieilles civilisations les défauts, abus ou excroissances (1) qui s'y trouvent fatalement ; il est plus difficile de dire comment ces vicissitudes auraient pu être évitées en fait, c'est-à-dire "réellement", non "idéalement". Le reproche que l'on peut faire aux modernistes n'est pas de constater les "affaiblissements" et "durcissements" qui se produisent au sein des civilisations traditionnelles, - car on ne saurait reprocher à quelqu'un de voir une chose qui existe, - mais de conclure à l'infériorité globale desdites civilisations ; or, pour avoir le droit de juger ainsi, le monde moderne devrait lui-même posséder les valeurs spirituelles - donc fondamentales - de toute civilisation normale, ce qui précisément n'est pas le cas, ou en d'autres termes, il devrait démontrer comment il est possible à l'esprit humain de porter toute son attention sur les domaines les plus divergents, ou encore, comment une civilisation peut concilier pratiquement les progrès modernes - fruits de tant d'efforts intenses conditionnés par une surestimation des choses terrestres - avec un esprit contemplatif, c'est-à-dire tourné vers les réalités transcendantes et par conséquent indifférent à l'égard des choses de ce monde. Car toute la question se réduit en somme à l'alternative suivante : ou bien le monde moderne possède les valeurs spirituelles des civilisations normales, et dans ce cas, il peut citer en exemple ses progrès qui, lorsqu'on les isole artificiellement de leur ambiance de compossibles, sont incontestables ; ou bien, le monde moderne ne possède pas lesdites valeurs, mais alors il est dépourvu de ce qui seul donne un sens à la vie et la rend digne d'être vécue ; dans ce dernier cas, même ses progrès réels se réduisent à néant, puisqu'il n'y a aucune commune mesure entre les fins dernières de l'homme d'une part et son bien-être terrestre et animal d'autre part, "bien-être" que le monde moderne ne réalise d'ailleurs que d'une manière toute provisoire et en tout cas fort relative. Aux yeux d'un homme conscient de tout cet abîme, les progrès scientifiques par exemple ne pourraient avoir de valeur qu'à condition d'être le fruit d'une civilisation inspirée des réalités spirituelles et tournée vers celles-ci, et aussi qu'à condition de ne pas se trouver neutralisés, donc en somme annulés, soit par quelque autre "progrès", à rebours du "bien-être" celui-ci, soit par une calamité issue du fait qu'on n'avait, en construisant un "monde nouveau", ou plutôt en détruisant un ancien, nullement tenu compte du possible ; si donc les progrès, même ceux qui sont les plus réels lorsqu'on les considère isolément, vont nécessairement de pair avec, premièrement l'oubli et le mépris des valeurs de l'esprit, deuxièmement des "progrès" négatifs qui neutralisent les positifs, et troisièmement des calamités qui sont les réactions cosmiques inévitables à des entreprises en définitives impossibles, il est évident que lesdits progrès ne sauraient être considérés à bon droit comme des critères de supériorité pour la civilisation qui les a conçus.
(1) Il va sans dire que nous entendons par "défauts" ou "abus" des choses répréhensibles en elles-mêmes et, ce qui revient au même, répréhensibles au point de vue de la civilisation où elles se produisent, et non pas des choses qui n'apparaissent comme des abus qu'à des hommes étrangers à cette civilisation. C'est à dessein que nous disons ici "civilisation" et non "tradition", car on ne saurait en toute rigueur attribuer des défauts à une tradition comme telle.
Dans un sens voisin, les Taoïstes disent que "l'erreur seule se transmet, non la Vérité".
Il résulte de ce que nous venons de dire qu'une civilisation qui comporte les prémices rendant possibles, par exemple, de puissants moyens thérapeutiques, comportera du même coup les prémices nécessaires pour l'invention de moyens de destruction non moins puissants : ainsi, un progrès permettant d'enrayer les épidémies, se paiera fatalement - outre les calamités dues au surpeuplement - par un "progrès" permettant d'anéantir des peuples entiers, et tous les grands mots sur les bienfaits de la "science" ou les miracles du "génie humain" n'y changeront rien ; d'autre part, ces mêmes moyens thérapeutiques, pour nous borner à ce seul exemple, provoqueront forcément, par réaction cosmique, l'apparition de maladies nouvelles ; enfin, le fait d'avoir pu inventer des moyens si extraordinaires implique nécessairement une attitude mentale incompatible avec ce que l'Evangile appelle "la seule chose nécessaire", parole qu'il faut entendre d'une façon sérieuse et non pas mièvre comme l'entendent ceux qui, afin de concilier en apparence des antagonisme irréductibles et afin de tout conformer ainsi à leurs intérêts matériels et sentimentaux, s'ingénient à réduire le sacré à des proportions "bourgeoises", donc inoffensives et médiocres.
A tout point de vue traditionnel, le critère décisif contre les soit-disant "progrès" consiste dans le fait qu'il était impossible de les réaliser sans sacrifier largement "la seule chose nécessaire", c'est-à-dire ce qui seul donne un sens à la vie.
Il nous faut nous arrêter un instant sur un autre aspect de la relativité des progrès, et qui est le suivant : les "erreurs scientifiques" dues à une subjectivité collective - par exemple celle du genre humain et des êtres terrestres en général voyant le soleil évoluer autour de la terre - traduisent un symbolisme vrai, et par conséquent des "vérités", celles-ci restant toutefois indépendantes des simples faits qui les véhiculent d'une manière toute provisoire; l'expérience subjective, telle que celle que nous venons de mentionner à titre d'exemple, n'a de toute évidence rien de fortuit. Il est "légitime" pour l'homme d'admettre que la terre est plate, puisqu'elle l'est empiriquement ; par contre, il est parfaitement inutile de savoir qu'elle est ronde, puisque ce savoir n'ajoute rien au symbolisme des apparences, mais le détruit inutilement et le remplace par un autre qui, lui, ne saurait exprimer que les mêmes vérités, tout en présentent l'inconvénient d'être contraire à l'expérience humaine immédiate et générale. (*) La connaissance des faits pour eux-mêmes n'a, en dehors des applications Scientifiques intéressées, aucune valeur ; autrement dit, ou bien l'on se situe dans la Vérité absolue, et alors les faits ne sont plus rien, ou bien l'on se situe sur le terrain des faits, et alors on est de toute façon dans l'ignorance. A part cela, il faut dire encore que la destruction du symbolisme naturel et immédiat des faits - tel que la forme plane de la terre ou le mouvement circulaire du soleil - entraîne de graves inconvénients pour la civilisation où elle se produit, comme le montre à satiété l'exemple de la civilisation occidentale.
(*) [Note du blog : Sur ce sujet voir : Frithjof Schuon et la science moderne. Voir aussi : A.A. - Réflexions sur tradition et science moderne, notamment le passage suivant : "Nous avons dit que vis-à-vis de la connaissance métaphysique toutes les cosmologies se valaient et que celle d’Einstein devait être mise sur le même plan que celle de Ptolémée. Cela n’est pas à dire toutefois qu’il n’y a aucune différence entre elles à un autre point de vue, à savoir leur aptitude à servir de support symbolique à la doctrine. La différence tient à ce que la cosmologie géocentrique était une vision du monde "simple" dans son principe (quoique passablement compliquée dans le détail des calculs astronomiques) qui, comme telle, pouvait apparaître comme un prolongement « naturel » de principes d’ordre supérieur et par conséquent, inversement, aussi leur servir de symbole. En revanche, les propositions très abstraites de la physique moderne, de la relativité générale par exemple, ne peuvent servir de support à une réflexion sur les principes que pour quelqu’un ayant une habitude suffisante de l’abstraction mathématique. La science moderne demande un grand entraînement mental, car ses théories ne peuvent être comprises qu’au bout de longues années d’études. Loin de voir là un point commun avec les « plusieurs années d’entraînement » que demande « une expérience mystique approfondie », il nous semble au contraire qu’il y aurait là une importante difficulté si on voulait faire jouer un rôle symbolique à la physique moderne."]
Les modernes regardent volontiers comme critères de civilisations des choses qui sont indépendantes de cette question, et qui correspondent simplement à leur propres dispositions, voire même à l' "idéal" à la mode : par exemple, on dira de tel peuple civilisé qu'il ne l'est pas "parce qu'il fait telle ou telle chose" (2), alors qu'il n'y a pourtant qu'une seule conclusion logique à tirer du fait que le peuple envisagé agit de telle manière, à savoir précisément qu'un peuple civilisé peut agir ainsi, qu'on le juge regrettable ou non. La civilisation est la présence de certains facteurs positifs ; aucun fait négatif ne saurait y changer quoi que ce soit.
(2) C'est une erreur analogue qui a fait considérer les Indiens de l'Amérique du Nord, l'une des races les plus nobles qui aient jamais vécu, comme des sauvages, alors qu'en réalité, loin d'être des dégénérés, ils étaient comparables aux anciens Germains ou aux Mongols d'avant le Bouddhisme, ou encore aux Bédouins qu'ils surpassaient même par l'intensité de leur vie spirituelle.(*)
(*) [Note du blog : Sur la spiritualité des Indiens de l'Amérique voir (aux éditions Payot) : Héhaka Sapa - Les rites secrets des indiens sioux.. Et, en ligne sur le présent blog : Frithjof Schuon - De l'esprit symboliste.]
Les abus que l'on rencontre dans toutes les vieilles civilisations sont inévitables , parce que le "mal" étant impliqué dans l'existence même, est inhérent à toute chose (3) et ne peut pas ne point s'y manifester d'une façon ou d'une autre (4) ; ces abus, ceux par exemple qui se sont "incrustés" dans le système hindou de castes, seraient évidemment susceptibles d'être éliminés, - et de tels faits se sont produits dans l'histoire (5), - mais à condition qu'on parte "de l'intérieur" ou du "contenu spirituel" de la civilisation envisagée (6). Cela présupposerait toutefois, dans la plupart des cas, un retour de la collectivité elle-même à cette "source vive" ; il s'agirait donc, dans les circonstances cycliques présentes, de revenir purement et simplement à l'âge d'or, ce qui malheureusement, est une impossibilité. Si toute "réforme" doit venir "de l'intérieur", c'est-à-dire de l' "inspiration" au sens strictement spirituel de ce mot, et non pas "de l'extérieur", c'est-à-dire d'un "raisonnement éminemment faillible, c'est parce que, dans une civilisation traditionnelle, tout vient "de l'intérieur", et qu'il n'y a pas d'autre source légitime pour les initiatives humaines ; abolir cette loi reviendrait à ouvrir la porte à toute les opinions et, par conséquent, à livrer la civilisation entière aux caprices de la "pensée" humaine.
(3) C'est le sens de la parole évangélique : "Que m'appelles-tu bon ? Dieu seul est bon", est aussi celui de la formule fondamentale de l'Islam "il n'y a pas de divinité, si ce n'est La (seule) Divinité".
(4) On pourrait dire la même chose pour ce qui est du monde moderne lui-même, mais en l'appliquant à un tout autre niveau, de même que, à un niveau qui sera aux antipodes de celui que nous venons d'envisager, la même vérité vaudra encore pour l'âge d'or ou même pour le Paradis. Des vicissitudes comparables à celles dont souffrent ad intra les mondes traditionnels de l'Orient existaient évidemment aussi dans l'Europe médiévale ; loin d'avoir été réellement "annihilées" par la révolution moderne, elles ont été remplacées par d'autres, souvent moins apparentes parce que se situant insidieusement sur le plan de l'esprit, mais d'autant plus néfastes pour l'homme en tant qu'être immortel.
(5) Il y a eu, en effet, de tout temps des réformes qui revêtirent un caractère traditionnellement orthodoxe ; "réforme" n'est donc nullement synonyme d' "hétérodoxie" ; mais ces réformes émanaient toujours d'âmes grandes et saintes qui n'entreprirent rien qui fût en contradiction avec les principes immuables dont ils étaient eux-mêmes devenus des "incarnations".
(6) Les "réformateurs" hétérodoxes font semblant de le faire, c'et-à-dire qu'ils se fondent sur un purisme philosophique qui en réalité n'est que très extérieur et n'a rien à voir avec le vrai "esprit".
Certains s'étonneront sans doute de l'indifférence que les grands spirituels ont souvent témoignée pour les vicissitudes humaines du monde où ils vivaient ; il y a à cette attitude une double raison, et ce que nous venons de dire permet déjà d'en entrevoir le bien-fondé : premièrement, bien des vicissitudes dans le corps d'un monde traditionnel doivent être regardées comme des "moindres maux", c'est-à-dire comme les canaux nécessaires de calamités en soi inévitables, mais susceptibles d'être réduites à un minimum ; c'est là un point de vue que les modernes n'ont jamais compris, puisqu'ils ne savent même pas qu'il y a, dans le cosmos, des choses qui ne sauraient être évitées à aucun prix, et dont la suppression apparente et artificielle n'entraîne que des réactions cosmiques d'autant plus "massives" ; deuxièmement enfin, l'indifférence des spirituels à l'égard de ces contingences s'explique par une attitude que nous avons déjà mentionnée plus haut, et qui consiste à vouloir saisir le mal par sa racine, c'est-à-dire à guérir le monde non pas en dissipant les énergies dans des efforts fragmentaires et somme toute illusoires, mais en retournant directement à la source même de toute bien, qui est l'Esprit pur, infini, seul parfait.
Il n'y a donc, en définitive, que deux possibilités : civilisation intégrale, spirituelle, impliquant abus et superstitions, et civilisation fragmentaire, matérialiste, progressiste, impliquant certains avantages terrestres, mais excluant ce qui constitue la raison suffisante et la fin dernière de toute civilisation. L'histoire est là pour prouver qu'il n'y a pas d'autre choix. Le reste est rhétorique et chimère.
Frithjof Schuon
ANNEXES
« Le fatalisme consiste dans la notion que le Ciel fait tout, non pas directement, mais indirectement, par les hommes et les choses. Notre fatalisme nous porte à considérer l’histoire naturelle ou humaine comme un livre sacré, dont nous sommes une partie plus ou moins importante. Un grand écrivain qui se dit catholique, mais que les Catholiques sont enclins à désavouer, M. Léon Bloy, a bien formulé notre fatalisme par une phrase lapidaire : « Tout ce qui arrive est admirable. » C’est notre fatalisme qui nous fait trouver un caractère monumental à certains faits-divers. Dans toute l’Europe, je n’ai trouvé que quelques rares Parisiens, boulevardiers sceptiques, ayant pu comprendre ce que peuvent bien être la résignation à la volonté du Ciel et le fatalisme transcendantal (1).
(1) Le document qorânique le plus évident sur la fatalité consiste dans l’ordre qu’Allah donne à la création de venir bon gré mal gré. Elle répond : « Nous venons obéissants. » Comme tout obéit à Allah d’une façon ou d’une autre, on peut considérer que tout est « Muslim », c’est-à-dire abandonné à Sa volonté. Le Tao explique ce phénomène par « l’Activité du Ciel ».»
(Abdul-Hâdi Aguéli - Pages dédiées à Mercure, in La Gnose janvier, février 1911.)
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« Selon l'acception moderne la plus courante, le « destin » est une puissance aveugle qui plane sur les hommes, qui s'impose à eux en faisant que se réalise ce qu'ils souhaitent le moins, en les poussant éventuellement vers la tragédie et le malheur. Fatum a ainsi donné naissance au mot « fatalisme », qui est l'opposé de toute initiative libre et efficace. Selon la vision fataliste du monde, l'individu n'est rien ; son action, en dépit de toute apparence de libre-arbitre, est prédestinée ou vaine, et les événements se succèdent en obéissant à une puissance ou une loi qui le transcende et qui ne le prend pas en compte. « Fatal » est un adjectif qui a essentiellement une connotation négative : issue « fatale », accident « fatal », l'« heure fatale de la mort », etc.
Selon la conception antique, le fatum correspondait par contre à la loi de manifestation continue du monde ; cette loi n'était pas réputée aveugle, irrationnelle et automatique - «fatale » au sens moderne du mot - , mais chargée de sens et comme procédant d'une volonté intelligente, surtout de la volonté des puissances olympiennes. Le fatum romain renvoyait, de même que le rta indoeuropéen, à la conception du monde en tant que cosmos, en tant qu'ordre, et en particulier à la conception de l'histoire comme un développement de causes et d'événements reflétant une signification supérieure. (...) Défier le destin, s'élever contre le destin, n'avait pour [l'homme antique] rien de « prométhéen » , au sens romantique de ce terme exalté par les modernes ; c'était tout simplement une sottise. L'impiété (le contraire de la piété qui se rapporte donc à l'être privé de religio, sans « rattachement » et sans compréhension respectueuse de l'ordre cosmique) équivalait plus ou moins, pour l'homme de l'Antiquité, à la stupidité, à l'infantilisme, à la fatuité.(...) comment en est-on arrivé à cette conception moderne qui fait du destin une puissance obscure et aveugle ? Comme tant d'autres, un tel glissement de sens n'a rien de fortuit. II reflète un changement de niveau intérieur et s'explique, essentiellement, par l'avènement de l'individualisme et de l'« humanisme » compris dans un sens général, c'est- à-dire en rapport avec une civilisation et une vision du monde uniquement fondées sur ce qui est humain et terrestre.(...) »
(Julius Evola – L'Arc et la massue.)
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« Dans le monde d’aujourd’hui, indubitablement beaucoup de gens, peut-être même la majorité, seraient enclins à poser la question : « Quelle est la caractéristique de notre époque, et qu’on ne voit dans aucune autre, qui a amené “la coupe de la Colère de Dieu” à être sur le point de déborder? » Non que personne considère notre époque comme parfaite, ou même seulement honorable; mais l’éducation moderne tend à inculquer la conviction que les siècles précédents étaient considérablement moins honorables, et que, plus on remonte dans le temps, plus le monde apparaît corrompu. Cependant personne en ces « siècles de ténèbres » n’aurait trouvé judicieux de poser cette même question. Au contraire, on avait alors l’impression, en fait à tort, d’avoir réellement atteint un comble de culpabilité tel qu’il pouvait fort bien attirer la vengeance divine. Que la question « Pourquoi sur nous? » soit posée aujourd’hui par une majorité de gens n’est pas seulement un signe des temps : on pourrait aller jusqu’à dire que le seul fait de la poser répond à la question. En d’autres termes, le manque de discernement de ses propres défauts est au centre même de l’homme moderne ; et cette carence ne doit pas être séparée de sa cause, qui est l’incapacité à comprendre la nature véritable de l’homme. S’il la comprenait, l’idéal qu’elle représente lui servirait de critère et, à sa lumière, le passé apparaîtrait beaucoup moins corrompu et le présent beaucoup moins honorable. »
(Martin Lings, La Onzième Heure, Delphica/L'Age d'Homme 2001. Voir aussi la réédition augmentée chez Tasnîm 2015 dispo sur http://leslumieresdorient.com.)
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« (...) Rien ne serait plus faux que de prétendre que le Moyen Age était bon comme notre époque est mauvaise ; le Moyen Age était mauvais parce que les abus qui défiguraient les principes y étaient portés à leur maximum par rapport aux possibilités d'alors, sans quoi la réaction moderne — Renaissance et Réforme — n'eût pas pu se produire. Mais, comparé à notre époque, le Moyen Age était néanmoins « meilleur », et même « bon » eu égard au fait qu'il était encore dominé par les principes. »
(Frithjof Schuon, « Réflexion sur le sentimentalisme idéologique », in Etudes Traditionnelles, 1961.)
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Une naissance dans une ambiance traditionnelle. - esprit-universel.overblog.com
Vue de l'ancienne ville de Fès (Fas al-Bali) à partir du cimetière de Bab al-Ftouh. Un jeudi matin de l'an mille neuf cent quarante-quatre. Dix heures trente d'un printemps traversé par l'épid...
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